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" Yann, l'automobiliste travailleur

 

Je passais par là tous les matin pour aller travailler. C’était plus facile de contourner le bassin pour éviter la circulation des Docks. Je prenais la rue Bellot, puis la rue Lucien Corbeaux et tout droit pour aller au Port, direction les grands portiques blancs.

Je suis chauffeur-cavalier. Le cavalier range les contenairs en travées, décharge ou charge les camions. Je prépare les travées, pour que les contenairs soient idéalement au plus près des bateaux. Je travaille pour les Terminaux de Normandie, mais on peut être « loués » à d’autres boites s’il y a besoin.

Les bateaux arrivent de moins en moins sur les bassins. Dans ma boite, ils arrivent directement de la mer.

Je trouve dommage que les bassins ne soient plus exploités, ça pourrait pour des petites barges. Elles ont l’avantage de naviguer en bassin et sur le fleuve… si on parle écologie, ça pourrait être intéressant. C’est quand même mieux que 300 camions !

 

 

Le Havre, un jardin

 

Quand je vois les bassins, je ne pense pas immédiatement boulot ! J’ai connu la fin de l’ère communiste. C’est une ville qui était laissée à l’abandon, mais tout vivait, ça poussait de partout. Sur les bassins, il y avait plein de bateaux, je ne sais même pas s’ils avaient le droit d’être là. Le Havre, c’était comme un jardin sauvage, ça poussait. Maintenant, le Havre, c’est un jardin tellement entretenu.

Ici, ce n’est plus utilisé. On a une ville en bord de mer, pourquoi on n’utilise pas ces bassins pour des sports nautiques ? L’aspect maritime n’est pas exploité par la Ville. Elle est tournée vers la « mer des riches ». Qu’est ce qu’on peut y faire à part boire un verre et manger une calzone ?

Ces sites, pour des gens qui n’ont pas spécialement d’argent pour se payer une bière à la plage, ça pourrait être mieux utilisé. On est une ville ouvrière mais ça c’est gommé. La vie pour les gens qui vivent ici au quotidien, elle est peut-être triste.

 

 

Souvenirs de môme

 

C’est mon enfance ici. On était des « gamins en vélo », alors on venait dans les hangars, on fouinait, on grimpait, on balançait des pétards, on venait se baigner. On allait dans les endroits où il n’y avait pas grand monde pour éviter de se faire dégager. Les képis arrivaient au bout d’une heure ou deux… on avait le temps. Ça existe toujours les mômes qui se baignent, c’est important que ça reste ces moments de partage. Tout le monde devrait y avoir accès. Ça mélangeait les publics. Le fait d’empêcher les accès libres, ça cloisonne un peu plus les gens dans leur milieu. T’as pas besoin d’abonnement ici, t’as pas besoin de respecter des horaires. C’est la liberté.

C’est bien ces aménagements. C’est bien que ça attire l’attention. Je lis American Gods. Ce qui tue les vieux Dieux, c’est qu’on les oublie. Tant qu’il y aura des gens pour venir ici, tant que ces lieux ne seront pas oubliés, ça existera. Pour que ça vive, il faut aussi des raisons pour venir.

Ce que je remarque, qui attire mon œil ici, c’est aussi le béton de la zone d’accastillage. C’est aride comme un vieux désert dans lequel tu risques de mourir de soif…

Ici, j’aime l’herbe, les bâtiments entourés de verdure... le béton, non… Alors ce que je vois ici, c’est un mélange d’aridité et de verdure. J’imagine des vieux pistoléros en train de mourir de soif.

J’ai envie de regarder vers la mer, pas vers la ville. Je suis citadin, profondément, mais, aimer la ville, ce n’est pas forcément aimer le béton. Mon idéal, ce serait une ville posée sur de l’herbe et de l’eau.

 

Des vestiges d’un passé révolu

 

Le fait que ce soit clos, les grillages, il n’y a rien de pire pour moi. Avant tu pouvais accéder partout. Pour le Port, il n’ y a pas le choix, des matériaux dangereux, des vols… On passe notre vie à cloisonner, les horaires, les lieux, les castes… les cases qu’on met partout. Et c’est assumé total ! Les gens acceptent. Chacun à sa place, dans ta case! Ici aussi il y a un peu de ça.

 

Quand j’arrive ici pour aller bosser, ce qui attire mon œil, ce sont les rails. Il y avait des tramways qui les utilisaient. Se dire que tout cet endroit était utilisé par des machines, beaucoup de monde passait ici, c'est dur à croire. Maintenant, quand tu habites là, tu n’as plus qu’une ligne de bus. J’ai l’impression que c’est un quartier déserté, alors qu’il a beaucoup de choses pour lui. Le vrai centre du Havre, il a été déplacé.

 

Et puis, il y a cette profondeur, la ligne de fuite que ça inscrit dans le territoire, je pense que ça contribue aussi à attirer mon attention. Tu les longes longtemps, tu en retrouves des vestiges jusque loin dans la ville. Il y a un côté archéologique presque. Tu ne sais pas à quoi ça correspond, c'est un peu mystérieux.

 

Ici, c’est silencieux, hormis le bruit des voitures, ça manque de cris, de discussions, de chiens qui aboient. Il fait super beau, personne n’est aux terrasses. Ce sont des endroits que les gens doivent s’approprier, en fin de compte, on a fait une belle déco, mais ce n’est que ça. "

 

Yann, le 29 septembre. 

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