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" Un lieu extra-ordinaire

Le lieu est superbe, il mérite d’être vu et pratiqué. J’aime être un peu en retrait de la ville, le paysage portuaire, la friche, qu’on puisse y trouver de la verdure, j’aime les pavés, les grues, la lumière aussi : comme c’est très étendu, la vision va loin, les bâtiments sont moins hauts alors la lumière n'est pas arrêtée. Elle n’est pas très intense, mais elle éblouit déjà un peu sans être violente, mais bientôt… Elle est un peu bleue. C’est encore doux, rasant, même les bâtiments en friche cohabitent bien avec la végétation. Le paysage est suspendu, c’est calme, la brise est douce, il y a peu de bruit, juste les oiseaux, on est loin de la ville, il y a peu de passages. C’est posé et contemplatif.


 

Vivre l’eau

Ce que j’aime aussi sur ce site, c’est la présence de l’eau, des bassins. Ça ramène de la mobilité et de la douceur, il y a des reflets, des mouvements sur l’eau. Il y a un arrêt assez brutal au niveau du quai. C’était forcément un quai de chargement mais on a l’impression qu’il y a quelque chose de cassé entre les deux rives. Ça ne me dérange pas, ce n’est pas un effort d’aller de l’autre côté. J’aimerais me suspendre au-dessus de l’eau, me mettre à son niveau, ou avoir un contact physique avec elle et pas seulement visuel. Les escaliers, ça pourrait être un moyen très simple d’exploiter ce rapport à l’eau. Imaginer une petite passerelle, pour pouvoir vivre, avec le corps, ce mouvement de l’eau.

Je ne la vois pas comme une limite. Si tu t’approches, tu vois des algues, des coquillages, des poissons… Ça me donne envie d’aller voir. Ça étend tout, ces bassins, ce n’est pas comme si le béton te poursuivait.


 

Un paysage mobile

J’aime bien les matériaux des bâtiments, c’est un autre vocabulaire. Les planches de bois sont un peu en désuétude, ce n’est pas tout propre, ni tout maîtrisé, ça vit… Ça vit de l’extérieur parce qu’on le laisse dans son état. J’aime le fait que ça passe, qu’il y ait des végétaux qui viennent pousser, que la peinture bouge, qu’il y ait des fissures, de la rouille. Je trouve ça beau de voir la matérialité du temps. On y voit des marques successives.

Les fermes, en architecture, ce sont les grandes poutres, elles sont belles, et entre deux, on voit des arches ; je trouve jolie cette structure, ça a été réfléchi, c’est comme à l’entrée de la ville, la structure orange. C’est esthétique de montrer les éléments importants pour que le bâtiment tienne.

C’est une ambiance que j’aime parce que ça change. Il n’y a pas beaucoup de présence humaine, ni beaucoup d’entretien, j’aime cette chose qui passe...

La végétation recrée un équilibre, elle vient englober l’architecture, les couleurs sont belles. Il y a un peu de mobilité, les herbes bougent. En ville, c’est hyper important d’avoir cette mobilité des éléments : sentir l’air circuler, voir le mouvement des plantes, des goélands planer. 

Ici, il n’y a personne, tu vois du monde, de l'autre côté ou sur les bateaux, mais tu te tiens à distance; ici, tu es dans une sorte d’enclos, parce que les bâtiments t’entourent, même si j’ai l’impression qu’on est en bordure de ville. Il y a une frange nette entre habitations et constructions. Il y a de la circulation mais tu es en retrait, tu contemples de loin, tu n’es pas pris dans la mobilité de la ville, même le bruit est lointain.

Je dirais que c’est une retraite, les idées circulent… Tu connais plein de monde en ville, tu es sollicitée, tu discutes; là, c’est un moyen d’être dans un paysage mouvant, … que tu ne vois pas en ville, et qui te permet d’être dans une réflexion non interrompue.


 

Laisser la vie faire son truc

Ici, c’est comme avoir un coin de nature dans la ville, le végétal reprend le dessus, les matériaux se délitent, la brique s’use, la peinture s’écaille… Je trouve ça assez beau, il doit y avoir des choses microscopiques, qui reviennent du fait qu’il n’y a pas beaucoup de passages. Si c’était piétiné, s’il y avait beaucoup de monde, ça n’existerait pas. La friche arrive à partir du moment où il n’y a presque pas de fréquentation. Il y a quelque chose de spontané, de naturel, surprenant. Les buddléias, je n’en vois pas en ville, les ronces, ces fleurs jaunes, il y a plein de choses que je ne connais pas, qui réussissent à arriver dans rien. Il y a des papillons. Je trouve ça chouette qu’on ne puisse pas toujours tout maîtriser, tout gérer; c’est normal qu’il y ait des choses qui existent sans nous. Je trouve ça beau ces ronces, elles sont visibles parce qu’il n’y a pas d’arbre en-dessous. Tu pourrais faire des sculptures, laisser quelques ronces et en couper d’autres.

Des gens disent : c’est sale ici, ce n’est pas entretenu, il n’y a pas de fleur... Peut-être mais ce n’est pas grave, il y a quand même des choses. Il y a des gens qui aiment que tout soit organisé, mais ils pourraient se laisser surprendre par des lieux comme ça.

Pour un été au Havre, on met des œuvres pour faire connaître des lieux, des fois ça m’interroge. Pourquoi on est toujours obligés de mettre des choses pour inviter les gens à venir ? Les gens des lieux, c’est un moyen de faire connaître, mais on ne reste pas, c’est juste l’idée de montrer que ça peut être beau un lieu comme ça, c’est inviter les gens à faire l’expérience de cet espace, et en même temps, quand tu vas seul dans un endroit, c’est agréable de ne rien y trouver, de pouvoir être tranquille.

Ce sont des espaces qui ne sont pas gérés. Ils ont laissé des bouts de barrières, ça ne valait pas le coup de les virer, il n’y a rien qui se passe ici, ce serait plutôt de l’énergie à dépenser pour rien. 

C’est comme une promenade, pourquoi c’est plus agréable une promenade sur un lieu tout aménagé comme à la mer ? Ces espaces-là méritent autant, mais il faut qu’il y ait quelque chose d’aménagé, ou de fréquenté pour se donner des raisons d’y aller. Alors que tu pourrais te laisser surprendre, juste faire l’expérience : partir de la ville et essayer de la quitter en prenant des chemins différents, découvrir des choses, s’interroger sur les activités qu’il pouvait y avoir : les trous de chantier, les cales sèches, la centrale à charbon, ces gros portiques...


 

Mon paysage

Ici, il y a plusieurs échelles… Je suis entre deux, mais pas encore complètement dans le port, on est à la limite. C’est un lieu de transition entre les bâtiments d’habitations, les containers, la centrale, les hangars, les grues...

Les bâtiments, c’est une muraille très longue, ce serait chouette d’avoir des vues. Il faudrait donner un coup de tronçonneuse dans le bâtiment ! Arranger des interstices, des cadrages vers le paysage de l’autre côté, ça ouvrirait. Ici, on est adossés au port, on n’y voit absolument rien, alors on est tournés vers la ville.

Les cheminées, pour moi, c’est un appel, ça me parle de l’espace portuaire, il y a la cloche des dockers. Ici, si les gens ne savent pas où ils se situent, tu leur dis : "la cloche des dockers", ils se repèrent tout de suite, c’est un lieu identifié. Tu as la présence de l’eau, et la végétation au pied. Il y a ce bâtiment en briques qui est assez beau. J’y suis allée plusieurs fois. C’est du symbole. Ce sont des bâtiments où ils stockent.

De l’autre rive, je peux regarder complètement vers le port, la profondeur est intéressante, avec toutes les grues. Tu commences à voir les silos à grains, j’adore leur forme, leurs dimensions, il y a des traces sur le béton ; derrière il n’y a rien, c’est comme si c’était une sculpture dans le paysage. C’est posé comme ça. De loin, tu ne vois que ces éléments qui sortent de terre, et la lumière derrière. C’est complètement démesuré ! "



Rachel, le 8 août

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