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" Rentrer dans le paysage

Le cadre attire l’œil; il n’est pas à l’échelle du site, mais dès qu’on s’en approche, on s’aperçoit qu’il l’agrandit, il devient une centralité, on peut ne rien faire et juste apprécier.

C’est comme mettre un cyprès d’Italie dans un jardin : il ne prend pas de place, mais alors, il y a un devant, un derrière ; ça replace le corps humain dans le paysage. Il explique le site, il donne à voir, c’est un cadre dans lequel on rentre et duquel on ressort, ce n’est pas le cadre d’un tableau, sauf si on reste très très longtemps devant le tableau, et qu’ensuite on s’y projette, on a presque envie de regarder ce qui se passe à gauche, ou en haut, ou ailleurs.

Il nous dit aussi qu’on peut venir ici, ce n’est pas qu’un endroit qu’on longe en voiture. Ce n’est pas parce que l'endroit est « non aménagé » qu’il ne doit pas accueillir les gens. C’est toujours compliqué... Quand on aménage un site, qu’on répartit les fonctions, ça en élimine d’autres. Ce cadre est à la fois marche, banc, « abri », ombrière; et si je me mets debout, je suis bien plus haut que les gens alentours. Ça donne de l’importance à la personne qui est là. Donner de l’importance aux gens, ça les aide à s’approprier un espace.

C’est un gros objet, et à la fois, il est tout petit, il n’est rien du tout. Ce n’est pas un objet grave, mais il est important. Si on le laissait quelques temps, il deviendrait terreau ; dans quelques années, on aurait un amas de vis au sol, c’est tout; et vu le vent dominant, le terreau aurait tendance à partir un peu vers l’Est ; en tempête, il enrichirait l’ancien passage qui mène au pont. Il enrichirait du point de vue botanique, ou au moins en termes d’opulence végétale.


 

Un tiers-monde végétal

On a quelques végétaux intéressants, ce sont des végétaux de lisière, il y a un côté tiers monde, ou tiers paysage. Ici, on a un gazon, une pelouse, ensuite, l’allée pavée qui mène à l’ancien pont, dans laquelle il y a des végétaux qui poussent, et puis, il y a un entre-deux, la bordure du chemin pavé, et tout d’un coup, ce mur qui monte vers le pont. Cet entre-deux est vraiment occupé par des végétaux qui en profitent, des végétaux qui n’ont pas de statut, des végétaux qui font ce qu’ils peuvent. Ils sont habitués à avoir la vie dure, ils sont frugaux, pas gourmands, et... ils sont super beaux ; ils n’ont pas vraiment d’existence officielle. Là, on pourrait très bien alléger le buddleia, et puis dans les vivaces, les annuelles, on pourrait en valoriser quelques-unes... Ce sont les végétaux qui ne sont pas gérés, ils en profitent pour pousser, ils font leur vie.

Puis, on a un front herbacé, et derrière, il y a des ronces, c’est un peu plus ligneux, et dans ces ronces, il doit déjà y avoir d'autres buddleias qui vont constituer un bosquet. Ces buddleias eux-mêmes vont protéger, ici, ça serait peut-être de l’érable, du peuplier, qui profiteraient du terreau, pour ensuite constituer un vrai bosquet avec des arbres.

Là, la vraie nature est dans ce triangle, ce ne sont que des végétaux qui ont décidé d’y pousser.

On est dans un ancien port, il y a encore des déchets, ça pourrait être considéré comme sordide. Mais, on est en lumière du matin, c’est presque la garrigue au mois de juin. On a presque des gris-bleutés, les graminées sont bien grillées, c’est la saison qui veut ça, on a du vert, du vert gris, du vert de gris, du jaune paille, c’est l’été, ça parle un peu d’une garrigue qui un jour sera peut-être là... Je pense qu’il y a 20 ans, on n’aurait pas eu les mêmes végétaux.


Le Jardin sauvage

De l’autre côté, c’est la même chose, mais avec un stade d’abandon plus poussé. Les deux espaces ont le même âge, ce sont deux rampes qui desservent un pont aujourd’hui disparu. On peut se demander si c’est un espace qui a une adresse, je ne pense pas... C’est intéressant de ne pas avoir d’adresse, le site n’existe pas. Mais on voit des traces. Ils devaient user et abuser de désherbants… ça se voit dans l’invisible, le désherbage il était surtout pondéral. A partir du moment où des machines, qui font 24 tonnes, passent leur temps à rouler sur un terre-plein, ça sur-tasse le sol, il n’y a pas grand-chose qui pousse! A gauche de la rampe sud, on a cet espace qui, aujourd’hui, est inoccupé, et qui a été compacté pendant des décennies. L’espace devant la rampe était sous le pont, lui n’était pas piétiné, ni carrossé, alors ça pousse. Ce n’est pas une question de composition, c’est une question de structuration du sol.

On a un très bel olivier de Bohême, au fond, qui est tout divergent, il fait ce qu’il peut, il lutte. Lui aussi, il pousse dans un entre-deux, il a fait son petit bonhomme de chemin, il est venu tout seul. Il a résisté aux embruns, aux coups de soif et aux tempêtes. C’est un vrai abri, il est couvert d’oiseaux, d’insectes et de nids. Mine de rien, on a une belle biodiversité. Ce ne sont pas des végétaux hyper excitants pour le grand public, sauf que tout être vivant a le droit d’exister, et toute espèce, aussi, à fortiori, les espèces végétales parce que c’est loin d’être l’espèce dominante ici! S’il y a une espèce invasive, ce n’est pas telle graminée, ni tel arbuste, ou telle ronce...C’est bien l’homme !


 

L’équipe de la palplanche

On a des lierres qui sont magnifiques. J'aime bien les murs en palplanches béton, c’est un beau système de clôture, beaucoup mieux que les grillages pseudo-transparents … il y a une façon de faire, et on a la délicatesse de la petite transparence dans la lisse haute. On est quand même en zone portuaire, et là, on a 4 épaisseurs de palplanches, 4 hauteurs, et la dernière est transparente. Concrètement, on a un béton transparent !

Et il y a deux textures, les poteaux sont souvent plus granuleux que les palplanches elles-mêmes. On a un lierre, ou une vigne vierge, une grimpante sur chacun des poteaux, et sur la gauche, ils se sont soudés. C’est une équipe qui se disperse pour gravir un sommet, et en haut du sommet, tout va bien, ils poussent, ils poussent, et l’équipe finit par se ressouder. C’est un vrai paradis pour les oiseaux, ils y nichent, ils y mangent. Le lierre c’est la dernière floraison dont bénéficient les abeilles. C’est tellement un bel abri pour les oiseaux qu’il y en a plein qui s’y cachent pour mourir. Le lierre, c'est une plante d’avant l’ère glaciaire, et sa date de floraison correspond aux périodes les plus propices de cette époque chaude, c’est-à-dire la saison des pluies. Il a maintenu cette époque qui est vraiment louche puisqu’il fleurit en octobre, novembre, et il fructifie en plein hiver. Fructifier en plein hiver, ça ne se fait pas! C’est son côté punk. Du coup tous ses fruits sont becquetés par les oiseaux, ça les aide à tenir le coup. Après, les oiseaux rendent bien service au lierre, ils mangent le fruit, ils digèrent la pulpe et ils recrachent la graine.


4ème dimension

Je ne vois pas l’eau parce que c’est marée basse… mais je n’aime pas l’eau. Les bassins eux-mêmes en parlent.

L’eau préserve les vides dans la ville. Les vrais jardins au Havre, ce sont les bassins et leurs contextes. Plutôt que de reconstruire le pont, mon fantasme, c’est d’ouvrir le bassin là où il a été barré. On voit bien le gros tas de cailloux, ça m’intéresserait plus que ce soit réouvert. Il y a des bassins qui ont été bouchés au Havre, je trouve ça... pas criminel… mais idiot, parce que boucher un bassin c’est transformer un vide en surface, c’est retirer une dimension, qui plus est une dimension poétique. Un bassin, c’est un espace en 4 dimensions, et une surface c’est un espace en 2 dimensions. S’il fallait construire quelque chose sur un bassin, il faudrait construire au fond, tu aurais un petit quartier qui aurait son autonomie spatiale, et qui pourrait ressembler aux quartiers hors normes, mais magiques ; au vu de la profondeur, on pourrait très bien construire une maison à 1 voire 2 étages. Ce serait une autre manière de descendre dans le bassin, une autre manière de vivre le bassin. Ce serait vraiment excitant. "



Marc, le 10 août

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