"Des lieux
Le principe des Gens des lieux c’est de dire que tous les sites sont intéressants. Il suffit de le choisir pour qu’il le devienne. Ici, le plus intéressant, c’est qu’on est toujours à proximité de la mer, il y a le port et un quartier habité. J’aime bien qu’il y ait des gens qui utilisent les espaces et qui les redécouvrent. Notre démarche, c’est aussi de montrer qu’on a la liberté d’occuper l’espace public.
L’un des côtés du bassin est déjà aménagé. Alors pour moi, la question, c’était de créer le lien entre les deux rives: l’entretenu et le sauvage. Comment inciter les gens à aller au-delà de cette limite naturelle qu’est le bassin ?
En général, il n’y a plus d’usage portuaire de ces bassins et comme les zones autour ne sont pas valorisées comme en Belgique ou en Hollande, où dès qu’il y a un canal, il y a des bars, des restaurants… Ici, c’est négligé. Tout ça fait que les bassins, tu ne t’y arrêtes pas.
Ici, les bassins, on construit la ville autour, et c’est tout.
Ici, un jour, il y a eu un pont.
Je ne sais pas pourquoi ils l’ont enlevé. Est-ce que ça s’est écroulé ? Est-ce que ça n’avait plus d’utilité ? C’est important un pont, on ne l’enlève pas gratuitement. On est sur une presqu’île ici. Quand j’arrive de la ville, je prends un pont, puis un 2ème pont, je traverse plusieurs bassins, j’en contourne d’autres. On occupe un pont ici encore, même s’il n’est plus là. Créer un pont, c’est peut-être le symbole ultime, nous, on crée des ponts avec d’autres moyens, culturels, avec des installations, avec la curiosité…
Ce sont aussi des constructions et des techniques qui sont toujours là. Ils ont enlevé certains éléments, mais on en voit les traces, c’est un langage. Ce sont des ruines de choses qui étaient là avant, des traces du passé.
Il y a une chose très différente ici, c’est que la première frange est là pour les piétons, sinon c’est toujours l’inverse. C’est complètement idiot, tu as un bassin, autour tu as une route, peut-être qu’il y a un trottoir avec un banc, ou sinon ce sont des parkings, et après, vient éventuellement une promenade. J’ai rarement vu des gamins se baigner dans d’autres bassins. C’est peut-être le seul endroit où le bassin est couplé aux loisirs, c’est un peu comme une piscine à l’air libre.
Terra incognita
Ça me semble bizarre de rentrer dans cette « zone » : on a l’impression de pénétrer dans quelque chose de privé. Je n’ai pas l’habitude de vivre dans une ville portuaire, et dès que c’est industriel, je me demande si je ne suis pas sur le domaine d’une entreprise. C’est lié au type d’installations : le gros hangar, l'absence de route normale et de signalisation de ville, on perd ses repères, on ne sait plus si on a le droit de continuer. Moi, je ne sais pas comment me comporter ici.
Pour moi, la limite est ici, plus loin, il y a la mer, et entre les deux, il y a, un peu vague, un peu vaste, le port.
Lever la tête
Jusqu’à maintenant, quand je suis venue ici, je regardais très proche. Je cherchais toujours des choses concrètes, une place pour m’installer, une place pour stationner ; on a commencé à nettoyer, on a passé toute la journée la tête baissée à chercher des bouts de plastique, des morceaux de papier. Et puis, j’ai levé la tête.
Pour l’instant, je regarde souvent le petit portique bleu, j’adore. C’est une balançoire à bateau.
Je n’ai pas trop envie de regarder le gros hangar… bien que… je n’avais pas encore vu, derrière on voit certains édicules, des bouts de constructions portuaires.
C’est la première fois que je vois ces deux petits bidules qui sortent, ils sont super beaux en fait! C’est une grue et un bout d’une sorte de capitainerie? J’aime bien que ça émerge, un peu en surprise. Derrière, il reste plein de choses qu’on ne voit pas, qui se cachent.
Ici, c’est le début de quelque chose d’autre. On a quitté la ville, on est dans une zone un peu floue, de distanciation. Il y a un peu tous les usages : des gens qui promènent leur chien, des bateaux qui sont entretenus, des camping-cars, des pêcheurs, des enfants qui se baignent, des gens qui mangent, des amoureux.
Je préfère le hangar en bois, un peu abîmé, l’herbe dans les gouttières ; ça a le charme de l’ancien et de l’industriel. Ce hangar neuf vieillit déjà mal. Le blanc, bientôt, ne le sera plus du tout. Il y a ces verrues sur la façade qui ne sont pas géométriques, des attaches visibles… bref… il y a tout qui part dans tous les sens.
D’une façade conçue par utilité, avec des matériaux de base, des formes très simples, on arrive à un truc complexe, et qui n’est pas meilleur même si c’est neuf. Pourquoi l'avoir refait si c’est pour être moins élégant ?
Ce qu’on ne voit pas
Il y a toujours du vent ici, c’est agréable.
A chaque fois, c’est différent. La première fois, il y en avait beaucoup, la deuxième, pas de vent, puis la troisième fois, la pluie et le vent. Là, il est très agréable. Il anime plein de choses : l’herbe, l’eau, les drapeaux, l'hélice dans le parc à bateaux, les branches. Il rafraîchit, il chatouille avec ma petite blouse qui bouge dans le vent, et il fait du bruit dans mes oreilles. C’est le vent qui se crée quand tu es en mouvement.
On entend les mouettes, des sons industriels. Dans le chantier de rénovation de bateaux à côté, on entend des bip bip tout le temps, les chariots qui roulent. On entend des moteurs avec les gling-gling des fils et des mâts. On entend aussi au loin la ville ; ce n’est pas dérangeant, même plutôt rassurant.
Que faire des traces...
Ce qu'on fait, ça s'inscrit aussi dans le "recyclage" d'un endroit, on lui donne un nouveau sens, en proposant une chaise, on change les usages. Et c’est bien l’usage qui est au centre du projet, ça permet de multiples adaptations sans changer le site lui-même. L’idée, c’est de montrer : on vient, on occupe, on fait quelque chose qui peut être fort visuellement ou très discret, et qui derrière, ne laissera pas de trace. On s'effacera.
Anna, le 12 juillet.