" Une habitude
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Moi, le paysage, je ne regarde pas. Oui, c’est beau, mais enfin… je ne sais pas, on a l’habitude. Quand on voit beaucoup un endroit, on est habitués, on ne regarde plus vraiment.
Je viens ici tous les jours, je promène mes chiens. Je m’assois sur un banc et je regarde les petits plonger. Mais je me mets de l’autre côté. Ça fait un peu piscine, piscine pour les pauvres, enfin piscine pour ceux qui n’ont pas envie d’avoir de la javel dans les yeux. Ils font des saltos, des bombes, ça me rappelle ma jeunesse. C’était notre endroit, qu’est-ce qu’on a pu rigoler ! En plus, à l’époque, il y avait encore des bateaux !
J’ai toujours vécu dans le quartier, ça a changé. Il se passe des choses, d’abord le jardin, c’est vrai que ça a donné un sacré coup de neuf. Avant, c’était des hangars des deux côtés de la route, on ne voyait rien du tout. Personne venait ici, sauf les gens qui grattaient. C'est pour ça que j'ai choisi une photo où on voit les grues, parce que même si c'est moins, il y a encore du boulot... un peu.
Maintenant, ça s’ouvre. Il y a des gens d’autres quartiers. C’est bien et c’est pas bien. On n’a pas toujours envie de partager notre quartier, on veut être tranquilles. Vous connaissez le proverbe… « Pour vivre heureux, vivons cachés ! »
C’est bien ce que vous avez fait, mais c’est pas nous. Je veux dire que ça ne correspond pas aux gens d’ici. C’est pas des trucs de gens qui grattent. C’est des trucs de gens du Havre, je veux dire du centre ville.
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Une curiosité
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C’est rare que je vienne de ce côté. Là, je suis venu parce que je vous ai vue plusieurs fois avec les cadres, ça me disait bien de voir ce que vous faisiez. Je n’y allais plus depuis longtemps, c’est trop dégueulasse. Mais là, je m’étais dit, je vais quand même aller jeter un œil pour essayer de comprendre.
Parce que je ne comprenais pas pourquoi vous aviez mis des trucs d’aéroport. Ici, c’est le Port, c’est pas l’aéroport ! Alors je suis allé voir.
Je ne suis pas monté sur les trucs en bois parce que j’ai une jambe raide… accident du travail.
Mais j’y étais avec mon petit-fils. Ce que j’ai remarqué, c’est le vent. Avec les piquets on voit plus le vent. Il est réel, c’est comme s'il avait un corps qui se remplissait et qui se vidait, qui se remplissait un tout petit peu ou alors carrément plus …
C’est comme le paysage, on est habitués au vent au Havre. Moi, j’ai navigué dans ma jeunesse, alors le vent en mer, j’connais ça. On n’y fait plus attention. J’aimais bien quand j’étais sur le bateau. Ça remet les idées en place quand parfois on a des pensées un peu sombres.
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Et d'autres soucis...
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Les hangars, ça n’me dit rien. C’est juste des hangars, y a juste des gars qui grattent. Non, c’est pas beau, c’est même usé, y a des herbes qui poussent dans les gouttières, la peinture est pourrie. Ils devraient le refaire comme le blanc à côté. C’est pas qu’il est beau le blanc, mais au moins il est neuf. Faut pas toujours vouloir du beau, faut aussi vouloir du pratique. Un hangar où il pleut dedans, c’est pas vraiment pratique ? Bon, ben, voilà…
C’est sûr que je n’aimerais pas que tout soit neuf parce que je ne reconnaîtrais pas mon quartier, mais vouloir tout garder, c’est pas la solution non plus. Mais à vrai dire, tout ça je m’en fous un peu.
Je suis malade.... alors ces histoires de paysage… vous voyez ce que je veux dire ?"
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Alain, le 18 septembre.