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" Une histoire et des souvenirs

On est entourés de lieux inspirants, il y a les bateaux, le bassin et tout ce monde qui se baigne ; il y a les portiques du port, et surtout, ce que je préfère… la cloche des dockers. Ça évoque, avec son toit, un beffroi, ou une mosquée..., c'est toute l’histoire des dockers du Havre. Ça fonctionnait avec le BCMO où ils allaient chercher leur paye.

C’est cool, j’aime bien ici. J’y étais déjà passée, sans trop m’arrêter. J’ai visité pas mal les coins, on avait investi le port il y a quelques années, les anciens bâtiments de la CGM qui étaient abandonnés. On était un collectif d’artistes informel. On y a été quasiment 10 ans.

Dans ces coins du Port, ce sont des endroits où tu te caches, tu fumes, tu te balades la nuit. C’est un lieu où se poser en caisse le soir. C’est autre chose en voiture... Dans les films, les bâtiments portuaires, tu ne les fais pas en vélo, tu les fais en voiture ! C’est un peu désert.
 

Le temps révolu des fleurs

Quand ils ont fait les jardins fluviaux, j’ai regardé ce que c’était, je me suis dit : « Ah ! Ben, tiens ! » C’était parlant, mais je n’ai pas capté. Des jardins... ce ne sont pas des jardins, mais c’est bien, tu y fais ce que tu veux. Il y a de l’espace, c’est offert aux gens pour leur liberté.

Ce qui est regrettable c’est que, partout, ils mettent de moins en moins de fleurs, ils évitent les abeilles, les guêpes, ça devient vachement vert, c’est fini le temps des fleurs, du coup, il n’y a que de la pelouse.  Mais, si tu laisses faire, comme ici, tu retrouves les fleurs. En face, on les empêche, et en plus, l’herbe qu’ils ont mise, ce n’est pas de la vraie herbe, je ne sais pas ce que c’est comme graine, c’est de l’herbe plantée, ça évite de tondre trop souvent.


 

La mue du Port

Le paysage se complète assez bien avec l’autre rive, mais ça va changer je pense. Ça va être aménagé, ils ne vont pas laisser les choses comme ça. Ici, on a des vestiges du passé. Il y avait des aménagements, maintenant, il y a de la terre sur un socle de briques, l’escalier pour y accéder. C’était des quais, il y avait des bateaux, beaucoup de trafic. Le Port a déménagé vers l’autre Port… Port 2000.

Ce qui est ville, on le laisse à la ville, et le port, on le …

C’est de plus en plus mécanisé, il faut des espaces bien carrés, grands. Ici, on ne se rend pas compte, mais les échelles sont humaines, quand on va sur le Grand Port, on est fourmis ! Avant, tout était en briques, en pavés, c’étaient des wagons marchands. Maintenant, tout se fait avec des grues et des containers.

Ici, ce sont les vestiges d’un temps révolu. On se doute que ça finira par s’en aller mais pour l’instant, on les voit encore, les routes pavées aussi, on peut s’imaginer  l’arrivée des bateaux, comment les wagons arrivaient, le transfert des marchandises, le trafic fluvial. Avant, la Seine avait plusieurs « bras », des sortes de rivières, il y en avait une qui allait jusqu’à Harfleur. Il y a une vieille qui m’a dit : "moi, j’allais jusqu’à Harfleur en bateau !"

Ça parle du passé ici, on s’imagine les bateaux s’arrêter, les dockers charger les wagons à bras le corps. Il y a beaucoup de traces de rails partout à l’intérieur des routes pavées.


 

La Forêt d’Iscambe

J’ai repensé à tout ça pendant le confinement. Comme je suis à vélo, je ne pouvais quasiment plus passer à certains endroits tellement ça poussait vite. J’avais lu un bouquin, il y a quelques années, La Forêt d’Iscambe, il m’a marquée à vie. L’ambiance qu’il y avait pendant le confinement et ici en particulier, ça m’a fait penser à ça. Quand tu laisses à l’abandon, ça repousse à une vitesse ! C’est beau, super poétique. Tu penses à tous les discours sur la planète. Nous, on se détruit, mais la planète, elle, elle survivra ! Tu vois Tchernobyl... la nature est hyper rapide, hyper forte, elle est chez elle, alors on doit plutôt mettre les moyens pour éviter qu’elle ne nous envahisse.


 

Une ville de friches qui avance

Ici, j’ai tendance à regarder les bateaux, les nouvelles constructions ne m’intéressent pas. Tu tournes le dos à la ville. C’est un peu friche ici. Ça m’est familier, je suis habituée à ces vestiges portuaires.

Regarder les bateaux, ça m’évoque ma ville, la mer, les voyages, les sorties possibles, il y a toujours une échappatoire. Quand j’imagine une échappatoire pour une quelconque raison, je pense plutôt chercher des forêts, partir par la terre. Je n’aime pas trop l’idée de me retrouver en pleine mer. La Manche encore, oui, on n’est pas en pleine mer. Moi, tous les films de la mer, de sous-marins, ça me donne froid.

Ça m’évoque ma ville, c’est ça l’idée pour moi ici, parce que je suis Havraise, je me suis beaucoup baladée. Quand j’ai vu le hangar zéro, et ce projet d’investir une friche industrielle, j’ai vu que ça marchait, je suis allée voir et je suis tout de suite tombée amoureuse, je me suis dit : "enfin, on y est". 

Investir le Hangar zéro, ça a un sens.

Je suis plutôt dans un monde où je me dis que la Terre nous survivra, ce que j’ai vécu, je l’ai vécu, et le reste, basta ! Ce qu’ils veulent aménager, je ne vais pas me battre. Je l’ai en moi. Je trouve ça dommage, mais je ne suis pas militante là-dessus. C’est peut-être l’avantage d’être Havraise : tu es attachée à une ville mais tu sais que le monde entier existe. J’ai vécu la ville où rien ne changeait, où tout était à l’abandon, et ça resterait comme ça ad vitam aeternam. Le Fort de Tourneville, personne ne l’utilisait alors que maintenant, il est utilisé, ici, c'est pareil. J’aime bien voir l’évolution des choses, je n’ai pas de jugement.

Je n’ai pas le même rapport à un bâtiment industriel et à une ferme normande, où je me dis que ça vaut le coup de lui garder son cachet.


 

En dressant l’oreille

Ici, on s’éloigne un peu du bruit urbain des voitures, et on se rapproche des bruits portuaires, les machines, les bateaux, les machineries, et on a la chance d’avoir tous les gamins qui se baignent. C'est bien d’investir l’espace public. La taille des espaces fait qu’on n’est pas du tout confinés. C’est aussi l’esprit de la ville reconstruite, les grandes avenues...  Il y a le bruit du vent. C’est notable pour quelqu’un qui ne connaît pas cette ambiance portuaire, c’est le bruit du port, et encore on est entre la ville et le port ici. C’est un peu frontalier, le bassin c’est la frontière. Il y a une séparation, nette, mais ça communique.


 

Relativiser...

Le bruit, c’est les pavés du port, les mouettes, le son des portiques ou d’un pont qui se lève, la sonnerie, c’est le bateau mis en cale sèche pour être révisé. On est davantage plaisance maintenant, ça n’a plus rien à voir, mais c’est ce qu’ils font petit à petit. Les bateaux marchands, on leur a fabriqué un boulevard derrière. Ici, les vieux bassins, très actifs jusqu’au début XXème, sont réaménagés pour la plaisance. Le réaménagement du Havre, depuis 20 ans, c’est pour attirer les Parisiens. Il paraîtrait que ça commence à marcher. C’est un travail de longue haleine. Je n’ai pas de jugement, c’est l’évolution. Quand tu tripes à t’imaginer « l’après humanité », l’aménagement du bassin fluvial… ça devient anecdotique. D’ailleurs, c’est pour ça que tu vois la beauté des choses, tu arrêtes de stresser parce que ceci, parce que cela, parce qu’on détruit ci, parce qu’on ne sait pas voir la beauté des friches, c’est une réalité, mais à quoi bon, de toute manière, ça ne changera pas grand-chose."



Céline, le 13 août

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